L'économie
Au départ de leur histoire, les Cosaques vécurent essentiellement de chasse et de pêche, mais aussi et surtout de piraterie. Toujours à l’appât du gain, ils sillonnaient les routes et les fleuves, avides de fortune et de butin. Puis ils louèrent leurs services aux souverains voisins et devinrent des mercenaires. Durant le XVIe siècle, l’existence de leurs premiers établissements continua d’être basée sur la piraterie et la guerre, mais l’évolution de leur société força les Cosaques à développer une économie plus stable, des activités qui puissent être lucratives en dehors des périodes de campagne.
Côté zaporogue, on mit la priorité sur les campagnes navales le long du Dniepr, tandis que les Russes favorisèrent l’élevage et la domestication du cheval. Mais la grande activité économique des Cosaques, outre la flibuste et le mercenariat, était la pêche. Les rivières, les lacs, les fleuves offraient une telle variété et une telle richesse de poissons que très vite ceux-ci constituèrent l’aliment de base de tous les Cosaques. Frais ou séché, fumé ou salé, il était consommé partout en Russie et devint leur principale ressource économique. De simple activité nourricière, la pêche se transforma en commerce et même en industrie.
Le grand avantage de cette activité, en dehors de son rendement, était qu’elle pouvait être pratiquée toute l’année. Les grandes expéditions collectives de pêche étaient dirigées par des atamans spécialement élus à cette fonction. Elles se déroulaient comme de vraies campagnes militaires, avec un déploiement de bateaux sur plusieurs centaines de mètres et des filets chaînés les uns aux autres.
En Moscovie, mais aussi dans les pays voisins, la pêche cosaque devint très prisée, en particulier l’esturgeon et le caviar qui se vendaient à prix d’or jusque sur les marchés étrangers.

À partir du XVIIIe siècle, les Cosaques pratiquèrent l’agriculture et leur existence devint militaro-rurale. C’est également à la même époque que se développa vraiment l’élevage, la viande fournie par la chasse n’étant plus suffisante et le besoin de chevaux devenant de plus en plus important pour fournir la cavalerie.
Les Zaporogues eux-mêmes, pirates et guerriers plus que quiconque, devinrent davantage éleveurs et cultivateurs que flibustiers. En dehors de l’enceinte de la Sietch ils cultivèrent des vergers et des champs de blé, se lancèrent dans l’horticulture et l’apiculture, élevèrent des moutons et fabriquèrent de l’huile de poisson. Par bateaux et par caravanes ils exportaient le surplus de leur production en Russie, en Moldavie, en Ukraine polonaise et en Valachie, poussant le sens du commerce jusqu’à vendre leurs produits aux Tatars de Crimée, leurs ennemis héréditaires.
Dans toute la cosaquerie le commerce devint florissant et l’on se mit à cultiver du tabac, à brasser de la bière, à récolter du miel, à extraire du charbon, à exploiter des forges et des moulins. Les Cosaques produisirent du sel en abondance et firent leur propre eau-de-vie. Au XIXe siècle, des usines de fer et de fonte apparurent ainsi que des fonderies et des briqueteries. Tandis que le Yaïk se lançait dans le riz et le coton, le Don devenait le premier producteur de blé de Russie et vendait son tabac jusqu’en Europe et au Japon.
Et puis pour satisfaire les marchands qui n’hésitaient pas à venir s’approvisionner directement chez les Cosaques, des boutiques de négociants et d’artisans s’ouvrirent un peu partout: tailleurs, cordonniers, tanneurs, tonneliers, vendeurs d’articles en laine et en cuir, apportèrent la prospérité aux Cosaques et ceux-ci se mirent à importer des étoffes, des médicaments, des épices et des produits manufacturés.
Dans les voïskos comme à la Sietch, des recettes fiscales vinrent s’ajouter à celles du commerce proprement dit, sous la forme de taxes sur les marchandises et de péages sur le transport. Les centaines de commerces de boisson apportaient en outre une importante contribution à l’économie locale.
Après l’occupation de la France, en 1814, les hommes rapportèrent des plants de vigne et des techniques de fabrication, ce qui leur permit de développer une importante viticulture.

Avec la prospérité, apparurent les disparités sociales. En Zaporogie comme sur le Don, certains guerriers parvenaient à faire fructifier leurs entreprises et à amasser de jolies fortunes, alors que d’autres restaient en marge de cette nouvelle économie. Car sans capitaux à investir, sans la possibilité d’acheter une barque pour pêcher, du matériel pour cultiver la terre ou encore pour se constituer un foyer, les Cosaques les plus démunis étaient destinés à rester pauvres.
Dès lors, l’établissement d’une noblesse cosaque transforma radicalement l’économie et la société. D’un partage égalitaire des revenus on passa à une structure de classes proche de celle que connaissait la Russie, bien que les inégalités entre riches et pauvres demeuraient moindres chez les Cosaques. Lorsque l’ère industrielle fit son apparition en Russie, les villes gonflèrent, la vie moderne se développa dans tout le pays, et même l’Extrême-Orient russe sortit de l’isolement grâce au Transsibérien. Fidèles à leur mode de vie retiré, les Cosaques se réfugièrent dans le monde rural et laissèrent à d’autres ce développement. Et ce repli dans la paysannerie fut l’une des causes importantes de leur disparition
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