Une vie de guerriers
Au départ de leur histoire les Cosaques étaient essentiellement des guerriers et la structure de leur société était à leur image, c’est-à-dire militaire. Dans la steppe des Champs sauvages, les premières bandes de rebelles étaient constituées d’hommes qui s’étaient organisés pour le métier des armes: la guerre, la protection des frontières et le pillage. Par la suite, lorsque des familles de fuyards les rejoignirent, puis lorsqu’ils enlevèrent des femmes aux tribus nomades, leurs établissements se transformèrent en villages mais leur fonctionnement resta celui de garnisons.
Lorsque la société cosaque se développa, elle cessa donc de n’être qu’une formation militaire et se mua en une vraie communauté rurale. Les familles, et les hommes lorsqu’ils n’étaient pas en campagne, vivaient dans leurs stanitsas au rythme de leurs activités civiles: la chasse, la pêche, puis, progressivement, l’agriculture. Pourtant, la vie des Cosaques restait celle de combattants et fut toujours subordonnée à la guerre.

Les hommes, depuis tout jeunes, apprenaient à se battre, à monter à cheval, à manier les armes. Régulièrement, entre camarades, les enfants jouaient à la guerre, se réunissant dans la steppe en bandes adverses et bataillant avec des sabres et des lances en bois. Devenus grands, les Cosaques étaient entraînés à la dure, apprenaient à franchir des rivières à la nage, à transporter de lourds équipements et à maîtriser leurs montures sous le feu de l’artillerie.

Un Cosaque ne sortait jamais sans ses armes et devait être prêt à se mettre en marche n’importe quand. Les hommes étaient des soldats avant toute chose et leurs familles devaient parfois patienter de longues années avant de les voir revenir.

La cosaquerie, dès ses débuts, fut donc structurée en périodes de service armé durant lesquelles les hommes quittaient leurs foyers pour aller se battre ou prendre part à des expéditions de piraterie. Les Cosaques se réunissaient périodiquement pour partir en campagne, généralement au printemps et durant l’été. Ensuite, ils retournaient chez eux à l’automne, en passant par les villes du nord ou les régions frontalières afin d’écouler leur butin. Leurs expéditions étaient alors des occupations saisonnières et le reste du temps leur servait soit à accumuler des marchandises, soit à partir les écouler. Mais à mesure que les communautés prirent de l’importance, les besoins économiques augmentèrent et les forcèrent à se sédentariser afin de pouvoir développer leurs activités lucratives.
Naturellement, selon qu’ils fussent Libres ou Enregistrés, Russes ou Ukrainiens, qu’ils vécurent sous Ivan le Terrible ou Nicolas II, qu’ils participèrent à la conquête de la Sibérie ou à la révolution, les Cosaques vécurent différemment leurs périodes de services. Leur histoire s’étalant sur sept siècles et tout un continent, ce système varia selon les endroits et les époques, mais dans l’ensemble il dirigea toutes les communautés cosaques.
Parmi celles-ci, la Sietch zaporogue, sur le Dniepr, fut le premier établissement cosaque réellement organisé. Ce fut elle qui engendra le modèle cosaque qui fut ensuite adopté par les autres communautés. Une particularité, pourtant, la distingua du reste de la cosaquerie: ce fut l’absence de femmes dans son enceinte. Car à la différence des autres établissements, au sein desquels vivaient les familles, la Sietch avait physiquement séparé le campement militaire de la vie communautaire qui se développa autour.
La Sietch n’était donc qu’une forteresse et comme telle son accès était réservé aux hommes. Comme il n’était pas interdit aux Zaporogues de se marier, c’est dans le voisinage que s’installèrent les familles. Dans ces villages, à l’extérieur du camp fortifié, vivaient donc les Cosaques lorsqu’ils n’étaient pas en service. Et la Sietch, centre militaire mais aussi administratif et politique de la communauté, devint la capitale des Zaporogues.
La région tout entière, appelée Zaporogie, était divisée en palankas, des districts sur lesquels se répartissaient les campements familiaux, les kourènes, où les Zaporogues rejoignaient leurs foyers une fois terminées leurs périodes militaires ou achevées les campagnes de pillage.

De retour à la maison, la vie quotidienne des Cosaques était communautaire et la kourène tout entière était comme une grande famille dont les membres vivaient les uns avec les autres et partageaient leurs repas autour d’une même table.

Comme les Spartiates, les Cosaques de la Sietch vivaient en hommes de guerre, dans une ambiance rude et fonctionnelle. Leur nourriture était simple et sans recherche, mais elle faisait des hommes vigoureux et des guerriers puissants.

À son apogée, la Sietch administra plus d’une soixantaine de kourènes, des cantonnements dont le fonctionnement démocratique sera repris dans toutes les stanitsas, les villages traditionnels cosaques. Articulées autour d’une structure associative et autogérée, ces kourènes étaient autant de cellules autonomes possédant chacune sa propre hiérarchie mais devant allégeance au gouvernement central de la Sietch. Une fois l’an, le butin et les bénéfices accumulés par tous étaient soigneusement partagés entre les kourènes, qui, par ailleurs, vivaient principalement de chasse, de pêche et d’élevage.
Les officiers de la Sietch, ainsi que les membres directeurs de chaque kourène, étaient élus à l’unanimité des voix et révoqués de la même façon si besoin était. Dans ce dernier cas, les chefs redevenaient de simples Cosaques. Lorsqu’il s’agissait de choisir les responsables de la Sietch, chaque kourène organisait sa propre élection et envoyait ensuite à la place centrale une délégation avec ses candidats. Seuls les hommes astreints au service avaient le droit de voter, ce qui confirme que l’organisation de la cosaquerie était résolument militaire. Les autres, femmes, mineurs, vieillards ou «étrangers», vivaient au sein de la communauté mais ne pouvaient pas siéger à l’Assemblée.
En période de guerre, les Cosaques, en soldats disciplinés, devaient une totale obéissance à leurs officiers, mais le reste du temps ces derniers n’avaient qu’une fonction administrative et ne possédaient pas de réelle autorité sur leurs hommes. En fait, les réels tenants du pouvoir étaient les assemblées, tout au moins au début de la cosaquerie, avant que ne s’instaure un système de classes permettant à certains privilégiés d’instituer une noblesse cosaque. Toutes les décisions étaient prises en commun, à l’unanimité et non pas à la majorité des voix, ce qui ne favorise jamais que les plus forts.
Ce système, mis en place par les Zaporogues et généralisé chez les autres Cosaques lorsque leurs établissements essaimèrent par toute la Russie, avait tout d’une démocratie directe, une structure qui n’est pas sans rappeler celle que connurent les pirates européens qui sillonnèrent les mers du globe à peu près à la même époque.