Les Cosaques aujourd'hui
Après avoir été soumise et récupérée par le tsarisme, secouée et disséminée par la révolution, puis finalement anéantie par le communisme, la cosaquerie est aujourd’hui sur le retour, tant en Russie qu’en Ukraine. Mais après quasiment un siècle de mort consommée, comment considérer ce renouveau? Est-ce la véritable résurgence d’un mouvement qui renaît de ses cendres à la faveur d’un climat favorable, ou bien n’est-ce là que la manifestation d’une ultime récupération qui puise plus dans le folklore que dans la réalité historique?
Au premier regard, en tout cas, ceux qui prônent cette renaissance semblent bel et bien animés d’une idéologie toute politique. En Ukraine, tout d’abord, les nationalistes se sont emparés de l’image libre et combative du Zaporogue pour tenter de prouver qu’il y avait filiation directe entre les Cosaques et les premiers Ukrainiens. Les Cosaques, par leur présence en Ukraine depuis le XIVe siècle, permettent en effet d’imaginer une continuité entre les premiers habitants de la Rous kiévienne et l’Ukraine d’aujourd’hui. Cette théorie, qui ne repose sur aucune base solide, offre aux Ukrainiens la possibilité de s’affranchir de leurs origines russes et la propagande est soutenue par de nombreux écrivains et historiens. Ainsi, depuis quelques années, la nation forge son identité sur les vestiges de ce passé cosaque au mépris de toute logique, puisqu’il est attesté que les premiers Cosaques venaient de tous les horizons et n’avaient pas de racines ethniques communes.

Mais du côté russe également le phénomène cosaque est aujourd’hui récupéré, ici par des nationalistes cherchant à redorer l’image du citoyen idéal. Car les Cosaques, malgré leur passé lié aux répressions tsaristes, représentent toujours dans l’imaginaire collectif cette caste de guerriers d’élite puissamment enracinés à leur terre. Les remettre en selle (au propre comme au figuré) c’est donc valoriser une forme d’existence que l’on voudrait typiquement russe: des hommes combatifs, travailleurs, des femmes fortes, des familles saines, intelligentes, aux valeurs traditionnelles et patriotiques. C’est d’ailleurs ainsi que les présente l’ex-président Vladimir Poutine, à qui l’on doit une bonne partie de leur renaissance. Pour lui, et maintenant pour de nombreux autres hommes politiques russes, le vrai Cosaque, orthodoxe au teint slave, doit savoir se battre, chasser, construire sa propre maison, nourrir sa famille et la diriger en patriarche, tandis que sa femme tient le foyer et met au monde ses nombreux enfants. Bien sûr, le Cosaque doit aussi être un homme discipliné et voué au pouvoir…
Avec ces idées d’un autre âge, Vladimir Poutine tente depuis plusieurs années de relancer un mouvement cosaque qui avait déjà repris des couleurs dans les années 1980. À cette époque, certains descendants cosaques s’étaient regroupés en associations historico-culturelles et tentaient de faire revivre leurs traditions oubliées. En 1988, l’Union soviétique adopta une loi qui les autorisait à reformer les anciennes armées cosaques et même à en créer de nouvelles.
Deux ans plus tard, alors que l’URSS vivait ses dernières heures, ces associations se politisèrent et prirent une orientation ultranationaliste. Se constituant alors en milices privées, les néo-Cosaques se firent peu à peu une place comme auxiliaires de police.
En 1992, la renaissance cosaque prit réellement forme avec Boris Eltsine qui réhabilita les Cosaques et leur accorda même le statut de groupe ethnique. Des terres leur furent même allouées gratuitement en échange de leur aide pour la protection des frontières et ils furent encouragés dans leur activité de milice.
En 2005, le président Poutine officialisa le service des Cosaques au sein de l’armée, de la police et des gardes-frontière avec une nouvelle loi qui offrait un plein statut juridique aux nouveaux Cosaques. En parallèle, il se dota d’une garde personnelle de deux escadrons de cavalerie cosaque placés directement sous son contrôle. Avec ces mesures, Poutine a opéré une remarquable opération de marketing, s’alliant au passage les nostalgiques du régime tsariste et lançant un message clair de réconciliation à toute l’émigration. Quant aux régions cosaques de Russie, elles sont aujourd’hui bénéficiaires d’une importante aide financière et de budgets ambitieux qui visent à reconstruire une économie locale autonome, à améliorer les conditions de vie et à développer l’éducation.
Évidemment, ces appels du pied envers la Cosaquerie sont tout bénéfice pour le gouvernement, qui affiche ainsi son soutien aux minorités ethniques (il faudra bien ça pour calmer la situation dans le Caucase) et peut même compter sur de nouvelles unités militaires fidèles et entraînées, qui se sont d’ailleurs déjà illustrées dans les guerres de Tchétchénie, de Transnistrie et du Kosovo, mais aussi plus récemment en Ossétie du Sud et en Abkhazie face aux troupes géorgiennes.
La cerise sur le gâteau, c’est que l’État russe, en disposant à nouveau d’unités cosaques, peut renouer avec les fastes d’un prestigieux passé: le président, comme autrefois le tsar, peut se pavaner en tête de sa garde personnelle comme un vrai monarque…
La grande question, à ce stade, est de savoir si ces nouveaux venus sont les dignes descendants de leurs ancêtres, ou tout au plus des soldats d’opérette avec de vagues origines cosaques... La polémique est aujourd’hui engagée et la réponse n’est pas simple car la cosaquerie, en tant que mouvement militaire, a été totalement dissoute et les communautés détruites. Par ailleurs, la race cosaque, si tant est que l’on puisse utiliser ce terme, a massivement été diluée par des brassages de populations non cosaques et dès lors les descendants des derniers Cosaques officiels n’ont reçu que bien peu de gènes en héritage.
Alors si les établissements cosaques ont disparu corps et biens et que la race s’est éteinte, comment revendiquer une quelconque appartenance au mouvement?

Aujourd’hui, pourtant, les communautés cosaques renaissent de leurs cendres et chacun arbore fièrement les vestiges personnels de sa lointaine famille. Ces pseudos Cosaques ont revêtu les uniformes mités de leurs ancêtres et se sont couverts de décorations militaires, achetées pour la plupart au bazar du coin ou sur Internet. Avec les nouvelles lois dont ils sont bénéficiaires, ils peuvent croire être revenus au temps jadis que leurs pères et leurs grands-pères n’ont eux-mêmes jamais connu. C’est un peu comme si, en France, on redonnait un uniforme de mousquetaire à des jeunes gens qui s’érigeraient ensuite en auxiliaires de police…
Mais après tout, gardons-nous bien de juger trop vite, car les premiers Cosaques ne furent-ils pas de simples renégats, des vagabonds, des fuyards et des pirates qui n’avaient de commun que la volonté de vivre ensemble?