Cavalerie d'exception
Soldats d’exception, guerriers valeureux, combattants hors pair sur tous les terrains et dans toutes les circonstances, les Cosaques étaient courageux, intrépides, rusés, insaisissables. Toujours mobiles et rapides, ils avaient toutes les qualités pour s’imposer face à n’importe quel adversaire. De fait, ils brillèrent sur terre comme sur mer, étaient infatigables en montagne et excellents en éclaireurs. Mais c’étaient aussi de remarquables fantassins et leur artillerie n’avait rien à envier aux meilleures de leur temps. Pourtant, une image, une seule, leur colle à la peau et les symbolise plus que tout autre: la cavalerie.
À l’origine de cette image, la lourde défaite des troupes napoléoniennes face à l’Armée russe, qui força l’Europe à réaliser que ce que l’on considérait alors comme la plus efficace et la plus brillante des cavaleries avait été battue par plus fort qu’elle. Et l’on prit enfin conscience, en Occident, de la formidable valeur combattante des Cosaques et en particulier de leur cavalerie.
Évidemment, quand on se remémore les origines des Cosaques il n’y a rien de vraiment étonnant à ces prouesses équestres, puisqu’ils étaient tout de même les héritiers des meilleurs cavaliers du monde: Scythes, Sarmates, Huns et Mongols. Et puis dans la steppe, depuis toujours, l’existence tout entière ne pouvait se concevoir sans le cheval, partie intégrante de la culture depuis l’obscure époque des kourganes.
Depuis son plus jeune âge, le Cosaque était sensibilisé au cheval: la coutume voulait que chaque garçon, à quelques mois seulement, soit placé à califourchon sur la meilleure monture du père. Ensuite, progressivement, l’enfant était mené par la bride, assis seul sur le cheval et parfois même attaché sur la selle afin qu’il ne tombe pas mais puisse prendre déjà son assiette de cavalier. À l’âge de trois ans, l’enfant montait seul et à cinq il parcourait les rues de son village à cheval.
Une fois devenu adolescent, le Cosaque participait au long dressage des chevaux. D’abord, il fallait stabiliser le cheval, lui apprendre à rester sur place quoi qu’il advienne. Après, plus difficile, il fallait lui apprendre à se coucher puis à se familiariser aux coups de feu, enfin à maîtriser la nage en eau vive afin de pouvoir traverser fleuves et rivières.
Ce long apprentissage, qui nécessitait de nombreux exercices et une patience à toute épreuve, permettait non seulement de dresser les chevaux mais aidait aussi à créer une complicité entre l’homme et l’animal qui devait faire ensuite la différence sur le champ de bataille. Car le Cosaque, une fois lancé, ne faisait plus qu’un avec sa monture et pouvait alors se battre sans réserve, le cheval le portant presque comme ses propres jambes.
Les Cosaques avaient une selle et un harnachement fort simples mais très étudiés. Fonctionnel et sans artifice, leur matériel privilégiait l’efficacité plutôt que l’esthétique et ne comportait rien d’inutile. La selle, empruntée aux Tcherkesses, était légère et large, les étriers étaient courts pour favoriser l’allonge du cheval au grand galop, les sangles réduites au minimum afin de ne pas l’empêcher de souffler, le mors très fin pour ne pas gêner la bouche, la bride était une simple lanière de cuir. Le Cosaque montait toujours sans éperons, avec sa nagaïka en guise de cravache.
La monte cosaque, quant à elle, était aussi assez différente de celle pratiquée alors par les cavaleries européennes. Au grand galop ou au combat, lors de charges sabre au clair, la position était très avancée et donnait une meilleure force de frappe et un meilleur équilibre, à la manière d’un bûcheron qui frappe son arbre légèrement penché en avant. L’utilisation des jambes étant différente entre la cavalerie classique et celle des Cosaques, ces derniers contrôlaient principalement leurs chevaux par le biais de la bride, de la flexion du corps et de la nagaïka. Pour libérer leur main droite, nécessaire à la tenue du sabre ou de la lance, les Cosaques ne montaient souvent qu’avec une seule rêne, fixée à l’anneau droit de l’embouchure et passant ensuite sur l’encolure pour reprendre l’anneau gauche du filet.

L’efficacité de la cavalerie cosaque tenait en grande partie à sa position de combat particulière, que l’on appelait la lava. Unique en son genre, elle ne ressemblait ni à la technique des lignes ouvertes de la cavalerie russe régulière, ni à la charge à la française ou au positionnement rangé des Allemands. La lava s’étirait comme une ligne incurvée à l’intérieur, à la manière d’un croissant de lune dont la courbe ferait face à l’avant. Assez étendue pour dépasser la largeur du front ennemi, cette formation permettait à ses extrémités (les pointes du croissant) de déborder les flancs adverses.
Se concentrant sur les points les plus faibles, les Cosaques délaissaient volontairement les noyaux les plus solides et désunissaient ainsi le front en y perçant des trouées, comme un essaim de guêpes pénétrant sous une cuirasse.
Le principe le plus efficace de la lava était que chaque cavalier était suffisamment espacé des autres afin de favoriser son action individuelle. Ces larges intervalles entre les Cosaques ne brisaient pas l’homogénéité de l’attaque et permettaient à chacun de se mouvoir plus librement et de ne pas être gêné par les voisins de charge.
Côté tactique, les Cosaques visaient plus à épuiser l’adversaire qu’à l’anéantir. Bourdonnant autour de lui, jouant avec ses nerfs, ils le narguaient, perçaient ses arrières et ses flancs, l’attiraient dans des pièges pour mieux lui donner la chasse, mais évitaient à toute force la bataille rangée. Cette manière de combattre, très peu prisée des Européens, était une guerre d’usure typique de la steppe, et ceux qui n’y étaient pas habitués s’y laissaient prendre et y perdaient leurs forces.
Outre sa technique de guérilla bien caractéristique, la cavalerie cosaque était aussi redoutable par cette maîtrise que les hommes avaient de leurs chevaux et qui devint légendaire. Cette monte si particulière, héritée des guerriers du Caucase, s’appelait la djiguitovka, et c’est elle, une fois les Cosaques éparpillés sur les routes de l’exil, qui fit les beaux jours des spectacles de voltige équestre devenus célèbres dans le monde entier
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