Des marins avant tout
Avant de devenir les meilleurs cavaliers du monde, les Cosaques furent des marins et des hommes de l’eau, comme en témoignent les noms de leurs communautés, toutes baptisées en hommage aux grands fleuves sur lesquels ils étaient positionnés: le Don, la Volga, le Yaïk, le Terek, le Kouban, l’Amour ou l’Oussouri. En dignes héritiers de leurs ancêtres varègues, ils étaient pirates autant que pêcheurs, exploitant les milliers de cours d’eau qui parsèment le pays et dévalisant les villes côtières en s’aventurant jusqu’en mer Noire et en mer Caspienne.
Plus tard, même lorsqu’ils devinrent le bras armé du tsar, les Cosaques gardèrent toujours un amour immodéré du pillage, de la rapine et du brigandage.
La pratique de ce premier métier leur permit d’ailleurs de survivre lors des temps difficiles, quand les soldes tardaient à être payées, quand les cultures ou les aides de l’État étaient insuffisantes pour subvenir aux besoins de la communauté.
Mais des pirates de l’océan Indien ou des Caraïbes, les Cosaques ne partageaient pas que l’activité de voleurs. Divisant les risques et les butins de manière équitable, ils respectaient eux aussi une stricte discipline pendant les expéditions et ne se relâchaient qu’une fois revenus à terre. Là, en quelques nuits de débauche, ils pouvaient gaspiller le gain de toute une campagne entre le jeu, les femmes et l’eau-de-vie.
La tactique des Cosaques, elle aussi, était proche de celle des flibustiers: axée sur la surprise et la frayeur, elle jouait avant tout sur la réputation de barbares dont les Cosaques bénéficiaient – et qu’ils prenaient soin d’alimenter –, ainsi que sur la rapidité de leurs embarcations, les tchaïkas, légères et maniables. Ces grandes barques sans quille n’étaient d’ailleurs pas sans rappeler les drakkars vikings, ces formidables navires capables de fendre les vagues en haute mer comme de glisser en silence dans des rivières peu profondes.
De faible tirant d’eau, les tchaïkas permettaient aux Cosaques de se cacher parmi les roseaux des estuaires et de surgir de nulle part pour effectuer leurs coups de force. Très maniables, dirigées grâce à des perches de direction à l’avant et à l’arrière, elles étaient idéales pour se retirer en un éclair dans les multiples cours d’eau qui striaient l’embouchure du Dniepr.
À la veille d’une expédition, chaque tchaïka était remplie de vivres et regroupait une cinquantaine d’hommes bien armés, qui, particulièrement vigoureux aux avirons, étaient capables de battre de vitesse les galères turques... À l’instar des flibustiers, les Cosaques passaient de longues heures à observer de loin leur future proie, estimant ses moyens de défense et s’approchant dans le silence de la nuit le moment venu. Ce n’est qu’à l’aube, profitant au maximum de l’effet de surprise, qu’ils lançaient enfin leur assaut. Mais avant cela, leur technique était de décimer les troupes adverses par un feu nourri de leurs meilleurs tireurs, à qui l’on passait des armes rechargées pour leur permettre de tirer en continu. Une fois la victoire acquise, le butin était transporté à bord et les Cosaques repartaient se dissimuler dans les hauts-fonds, inaccessibles aux gros navires.
Hantant le littoral de la mer Noire et de la mer d’Azov, les flottes cosaques firent la loi dans la région durant tout le XVIIe siècle, semant la panique jusqu’à Constantinople et sur les bords du Danube. Sortant en bandes d’une centaine de tchaïkas, les Zaporogues, puis les hommes du Don, donnèrent des cauchemars aux Turcs et au khanat de Crimée.
Mais ces expéditions n’avaient pas pour seul but la piraterie et bien souvent elles tournaient en guerres rangées, lançant les Cosaques dans de véritables combats navals avec objectifs militaires et les Ottomans les craignaient plus que tout autre adversaire.
La marine fut donc un atout de taille pour le renforcement des communautés cosaques, qui purent ainsi capitaliser du butin et défendre leurs territoires face aux armées ennemies. Mais la maîtrise de la navigation par les Cosaques ne leur servit pas qu’à pratiquer la piraterie ou faire la guerre, elle leur permit aussi de développer la pêche, qui devint bientôt leur principale activité économique, puis à conquérir des terres vierges, comme en Sibérie et en Extrême-Orient. Plus tard, avec l’avènement des divers voïskos, c’est la cavalerie qui prédominera dans les armées cosaques, mais la marine zaporogue continuera de se déployer sur le Dniepr.