Les origines
Pour simplifier, on peut dire que les Cosaques étaient des hommes libres qui occupèrent le terrain laissé vacant par les Mongols à la fin de ce qu’on appelle le «joug tatar». Issus de tous les horizons, ces aventuriers se mélangèrent à des renégats mongols et aux descendants de nomades qui peuplaient alors les steppes du sud de la Russie et de l’Ukraine. Apparus tout d’abord autour de Riazan, puis entre le Don et le Dniepr, ces premiers Cosaques plongent donc leurs racines dans de nombreuses ethnies qui vinrent de l’Est à l’époque des Grandes invasions et auxquelles ils se mélangèrent dans des proportions impossibles à estimer aujourd’hui.
Cette première origine, en grande partie turco-mongole, perdura dans leur société et leur culture bien après que les Cosaques se soient slavisés. Identifier la provenance de ces ancêtres est essentiel pour qui veut comprendre la cosaquerie: ce n’est que comme ça que l’on peut cerner le profil des individus qui engendrèrent les premières communautés cosaques.
Pour éclaircir l’origine de ces mouvements raciaux, il faut tout d’abord délimiter un périmètre et suivre la voie des hommes qui peuplèrent la steppe originelle cosaque; après les Scythes vinrent les Sarmates et les Alains, puis, tour à tour, les Huns, les Avars, les Khazars, les Petchenègues, les Coumans, et, finalement, les Mongols, qui s’installèrent pour plusieurs siècles. Si certains de ces envahisseurs ne firent que passer, d’autres imprégnèrent durablement la région de leur culture et leur observation permet de mieux comprendre comment le monde cosaque a pu se développer.

Au commencement était donc la steppe, cette formidable étendue presque désertique qui borde la Russie actuelle par le sud. Ici, se succédèrent les hordes de nomades désireux de rallier l’Europe depuis l’Asie en empruntant ce formidable couloir naturel. Cette plaine infinie, que les Slaves, longtemps trop faibles pour résister aux guerriers venus de l’Est mirent des siècles à maîtriser, est la plus grande du globe: des portes de l’Europe au Pacifique on ne compte pas moins de 11 000 kilomètres de steppes et de plateaux, sur une largeur allant de 500 à mille kilomètres!
Cette plaine unique au monde, qui court d’ouest en est de manière presque ininterrompue, est séparée par les monts Oural, une suite de collines vallonnées qui distinguent conventionnellement l’Europe de l’Asie. Côté gauche, donc, c’est l’Europe, qui s’ouvre entre la mer Baltique et les Balkans, la steppe herbeuse qui sera bientôt le berceau d’une nouvelle puissance. À droite de l’Oural, après les plateaux sibériens, c’est la forêt, l’Extrême-Orient qui court jusqu’au détroit de Béring, une terre que les Cosaques défricheront dans quelques siècles.
Et puis dans la plaine, il y a les fleuves, les innombrables cours d’eau qui amènent la vie dans ce paysage désolé où rien ne pousse que l’herbe rase. Une toile d’araignée fluviale qui parsème l’immense territoire de ses ramifications et qui permet aux hommes de vivre, de communiquer et de se déplacer dans cet environnement hostile. Côté européen, les plus importants sont la Volga, le plus grand fleuve d’Europe, puis le Dniepr et le Don, séparés par 700 kilomètres de steppe. C’est ici, au nord de la péninsule de Crimée, en bordure de la mer Noire, que prendra forme la future Russie. C’est ici, également, que naîtra l’histoire des Cosaques.

Si l’on sait finalement peu de choses sur l’origine des premiers Européens, en comparaison avec les civilisations moyen-orientales, on peut toutefois observer, une fois posée l’hypothèse indo-européenne, une continuïté culturelle dans la steppe qui court d’est en ouest. Liée avant tout au mode de vie nomade et aux conditions d’existence dans un environnement aussi spécifique, cette continuïté s’illustre particulièrement dans les kourganes, des sites funéraires en forme de tumulus que l’on retrouve par milliers entre l’Ukraine et l’Altaï.
Ces tombes, dont les premières datent du IIIe millénaire avant notre ère, nous montrent que si ethniquement les premiers hommes de ces régions avaient probablement des racines diverses, ils partageaient tous un même mode de vie lié à la steppe. Plus tard, les peuples que l’on pourra clairement identifier et nommer – les Cimmériens, les Scythes, les Sarmates – seront eux aussi attachés à cette terre par un mode de vie et une culture identiques.
Toujours en mouvement, ces hommes se déplaçaient à cheval et vivaient sous la tente, à la manière des Turco-Mongols, d’Attila à Gengis Khan, qui déferleront par la suite sur l’ouest. Leurs vêtements, leurs mœurs, leurs croyances étaient les mêmes, tout comme la répartition des fonctions et des rôles de chacun dans la société. Et cela nous amène au constat qu’une véritable culture de la steppe a perduré à travers les âges, reliant entre elles des peuplades diverses par une organisation sociale commune découlant d’une vie nomade ou semi-nomade.
C’est de ce terreau que les premiers Cosaques naquirent dans la steppe, puis c’est encore à cette même source qu’ils puisèrent tout au long de leur existence pour se façonner leur propre culture, née du contact permanent qu’ils eurent avec les Kalmouks, les Nogaïs, les Bachkirs ou les Tcherkesses. C’est ainsi que leur vocabulaire, leurs armes, leur manière de combattre renvoient sans cesse à ceux des tribus turco-mongoles, et c’est aussi dans ces dernières qu’ils «empruntèrent» leurs femmes, ce qui explique sans doute ces «yeux noirs» si présents dans le folklore russe et cosaque...

Les premiers Cosaques, avant de se slaviser, étaient avant tout des vagabonds de la steppe, des aventuriers et des pillards d’origine asiatique. De tous temps, probablement, la région connut ce type de bandits orientaux – on parle, dès le XIIe siècle, des Brodniks, des Polovtses sauvages et des Toques noires –, mais ceux-ci se cristallisèrent autour de la Rous de Kiev, ancêtre de l’État russe, et furent bientôt rejoints par les nombreux fuyards des villes russes naissantes qui tentaient d’échapper à l’oppression. Ensemble, ils vécurent en marge des États et partagèrent la même existence, faite de rapine et de guerre.

Tous ces forbans, ces mercenaires, firent naître peu à peu une nouvelle race d’hommes libres, unis par un identique mode de vie plutôt que par une ethnie bien particulière.

L’origine même du mot «cosaque» renvoie donc à une fonction – ou une catégorie d’individus – plutôt qu’à un peuple précis. Le terme est attesté pour la première fois dans un document appelé «Codex Cumanicus», un dictionnaire couman, persan et latin dont la rédaction est estimée entre 1292 et 1295. Les Cosaques (sous la forme «quzzaq») y sont mentionnés comme étant des sentinelles, des gardiens, ayant pour fonction de défendre la steppe des ennemis tatars.
Côté étymologique, le terme slave de «cosaque» («kazak» en russe, «kozak» en ukrainien et polonais) est très probablement un dérivé du turco-mongol «qazaq». Ce vocable, qui se retrouve dans de nombreuses langues de même souche, signifie «homme libre», ou «sans attache», et, par extension, un vagabond ou un aventurier. Partant, le lien avec le soldat ou le garde indépendant décrit dans le Codex Cumanicus est des plus logiques, lorsqu’on considère que le mercenaire est un homme travaillant pour son propre compte. Certains chercheurs attribuent néanmoins une origine arabe au mot «qazaq», qui serait passé en Asie centrale et en Russie après avoir franchi le Caucase, par le biais des Perses puis des Tcherkesses. Dans cette hypothèse, le terme désigne un «homme martial vivant en nomade», en d’autres termes un soldat des steppes. Au final, cette signification reste très proche de la turco-mongole et une filiation entre les deux parentés est d’ailleurs tout à fait possible.
Les premiers Cosaques, donc, d’où que vienne leur nom et quelles qu’aient été leurs origines ethniques respectives, furent des hommes partageant la même existence, entre guerre et brigandage, liés par un même besoin de grands espaces et de liberté. Longtemps, en Russie, on appela cette communauté volnitsa, c’est-à-dire celle des hommes libres.